Pollution de l’air : l’État sous la menace d’une amende de 10 millions d’euros

Article de Gaspard d’Allens (Reporterre), en date du 16 juillet 2021

Image créée par catazul de Pixabay 

Le rapporteur public du Conseil d’État a tancé l’inaction française en matière de lutte contre la pollution de l’air. Le magistrat a proposé, lundi 12 juillet, de condamner le gouvernement à 10 millions d’euros d’amende. L’avis définitif sera rendu dans quelques jours.

L’étau se resserre sur l’État français. Le marteau de la justice plane au-dessus de son action et pourrait bien lui rappeler ses engagements. Lundi 12 juillet, le Conseil d’État a évalué très sévèrement sa politique de lutte contre la pollution de l’air. Les conclusions du rapporteur public ont été implacables. Considérant la faiblesse des mesures prises depuis le début du quinquennat, le magistrat a proposé de condamner le gouvernement à 10 millions d’euros d’amende. Cette astreinte financière pourra être répétée tous les six mois en fonction du niveau de pollution de l’air observé dans certaines grandes agglomérations françaises.

Le rapporteur public a proposé de répartir la somme ainsi perçue entre certaines agences publiques. L’Ademe, l’Agence de la transition écologique, recevrait 3,3 millions d’euros, le Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema) 2 millions d’euros. 330 000 euros seraient donnés à Air Paris et à Air Rhône-Alpes. 170 000 euros pour Atmo sud et pour Atmo Occitanie, des associations agréées de surveillance de la qualité de l’air. Enfin, 1 %, soit 100 000 euros, seraient réservés aux quelques 77 associations requérantes. La situation est assez cocasse car la justice administrative enjoint l’État à renflouer financièrement certaines de ses agences alors qu’il avait lui-même décidé de baisser leur budget.

Dans un communiqué, les principaux requérants dont les Amis de la Terre, se sont félicités « de la fermeté du rapporteur public ». Pour l’avocat Louis Cofflard, à l’origine du recours, « cette conclusion est un signal fort pour la santé et le changement climatique : le désengagement de l’État ne pourra plus rester impuni », dit-il à Reporterre.

« La pollution de l’air est un terrible fardeau »

Le Conseil d’État devrait rendre son avis définitif dans les prochains jours. Les écologistes espèrent qu’il suivra, comme il le fait dans la majorité des affaires, l’analyse de son rapporteur public. Si c’est bien le cas, « l’événement sera historique », prévoit Louis Cofflard. « Jamais une astreinte aussi élevée n’a été infligée à l’État pour exécuter une décision prise par le juge administratif », précise-t-il.

Cette amende marquerait l’aboutissement d’un long combat judiciaire. Tout a débuté en 2017 quand le Conseil d’État, saisi par les Amis de la Terre, a ordonné au gouvernement de mettre en œuvre des plans relatifs à la qualité de l’air afin de respecter les normes de concentration en particules fines et en dioxyde d’azote fixées par l’Union européenne dès 2008. Le Conseil d’État remarquait, à l’époque, que les seuils de pollution étaient dépassés dans plus de treize zones en France. Il enjoignait l’État à agir mais ses injonctions étaient restées lettre morte.

En 2020, la plus haute juridiction administrative constatait que le gouvernement n’avait toujours pas pris les mesures demandées dans huit des treize zones. Elle décidait alors de relancer la procédure, quitte à être plus agressive. Elle donnait six mois à l’exécutif pour changer la situation sous peine d’amende et invitait à tirer un premier bilan, six mois plus tard, en juillet 2021.

Elle soulignait déjà « la gravité des conséquences en termes de santé publique » et « l’urgence qui en découle ». Selon différentes estimations, la pollution de l’air entraînerait entre 40 000 et 100 000 morts prématurées par an en France. En moyenne, elle coûterait plus de 900 euros par personne chaque année. Et rien qu’à Paris, son coût s’évaluerait à 3,5 milliards d’euros par an. « La pollution de l’air est un terrible fardeau », a répété à plusieurs reprises le rapporteur public, au cours de l’audience, lundi dernier.

« Cette condamnation doit servir d’électrochoc »

Les écologistes espèrent que ses conclusions pourront faire bouger les lignes. Dans tous les cas, elles frappent le gouvernement comme un camouflet. « Cette condamnation financière doit servir d’électrochoc, pense ainsi l’avocat Louis Cofflard. Elle doit nous donner l’occasion d’engager réellement la transition écologique pour changer les infrastructures et les modalités de transports, afin de rendre nos villes plus sobres, plus douces, et tout simplement plus vivables. »

Les associations environnementales requérantes rappellent qu’en matière de pollution de l’air, le gouvernement n’a pratiquement rien fait. L’exécutif a entériné une réforme minimale de la fiscalité automobile en refusant de pénaliser significativement les véhicules les plus polluants et en écartant les aides pour les ménages les plus précaires. Les niches fiscales accordées au transport routier, mais aussi au transport aérien, continuent de pénaliser le report vers d’autres mobilités moins émettrices.

En parallèle, le projet de loi Climat s’est mué en fiasco. D’ailleurs, ironie du calendrier, sa commission mixte paritaire se réunissait au même moment que l’audience du Conseil d’État ce lundi. Les parlementaires peaufinaient la dernière version du texte de loi, encore amoindrie par son passage au Sénat. Le dispositif des zones à faible émission (ZFE) est notamment sur la sellette.

Créées pour limiter la circulation des voitures les plus anciennes et les plus polluantes, les ZFE étaient présentées par le gouvernement comme le principal outil pour lutter contre la pollution de l’air. À l’origine, le projet de loi de Climat prévoyait leur extension à toutes les agglomérations de plus de 150 000 habitants d’ici à 2025. Mais au cours de son examen au Sénat, la majorité de droite a décidé de retarder le calendrier de cinq ans. « Il est indispensable que les parlementaires reviennent sur ces modifications, estime Valentin Desfontaines, du Réseau Action Climat. Ce serait un préalable. »

Le chargé de mission rappelle que la décision du Conseil d’État n’est pas isolée. La France est aussi poursuivie par la Cour de justice de l’Union européenne qui l’avait condamnée le 24 avril 2019 pour non-respect des normes européennes. L’État avait fait l’objet d’une nouvelle mise en demeure le 2 décembre 2020 en raison de l’insuffisance de son action. Il avait normalement jusqu’au 3 février dernier pour prouver qu’il mettait en œuvre toutes les mesures nécessaires pour respecter au plus vite ces valeurs. Sinon, la France pourrait se voir imposer des sanctions financières d’au moins 240 000 euros par jour de retard, prévenait la Cour de justice.

Cette situation est d’autant plus regrettable que les normes européennes utilisées comme référence datent de 2008 et sont jugées largement moins sévères que celles recommandées par l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Pour les particules fines, « le décalage est très inquiétant », alerte Valentin Desfontaines, les seuils européens pour les particules en suspension PM2,5 sont 2,5 fois plus élevés que ceux prescrits par l’OMS et les seuils européens pour les PM10 sont deux fois plus élevés également. En bref, le gouvernement n’arrive même pas à respecter des normes désormais jugées insuffisantes.

Le texte du Conseil d’Etat du 10 juillet 2020

L’étau se resserre sur l’État français. Le marteau de la justice plane au-dessus de son action et pourrait bien lui rappeler ses engagements. Lundi 12 juillet, le Conseil d’État a évalué très sévèrement sa politique de lutte contre la pollution de l’air. Les conclusions du rapporteur public ont été implacables. Considérant la faiblesse des mesures prises depuis le début du quinquennat, le magistrat a proposé de condamner le gouvernement à 10 millions d’euros d’amende. Cette astreinte financière pourra être répétée tous les six mois en fonction du niveau de pollution de l’air observé dans certaines grandes agglomérations françaises.

Le rapporteur public a proposé de répartir la somme ainsi perçue entre certaines agences publiques. L’Ademe, l’Agence de la transition écologique, recevrait 3,3 millions d’euros, le Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema) 2 millions d’euros. 330 000 euros seraient donnés à Air Paris et à Air Rhône-Alpes. 170 000 euros pour Atmo sud et pour Atmo Occitanie, des associations agréées de surveillance de la qualité de l’air. Enfin, 1 %, soit 100 000 euros, seraient réservés aux quelques 77 associations requérantes. La situation est assez cocasse car la justice administrative enjoint l’État à renflouer financièrement certaines de ses agences alors qu’il avait lui-même décidé de baisser leur budget.

Dans un communiqué, les principaux requérants dont les Amis de la Terre, se sont félicités « de la fermeté du rapporteur public ». Pour l’avocat Louis Cofflard, à l’origine du recours, « cette conclusion est un signal fort pour la santé et le changement climatique : le désengagement de l’État ne pourra plus rester impuni », dit-il à Reporterre.

« La pollution de l’air est un terrible fardeau »

Le Conseil d’État devrait rendre son avis définitif dans les prochains jours. Les écologistes espèrent qu’il suivra, comme il le fait dans la majorité des affaires, l’analyse de son rapporteur public. Si c’est bien le cas, « l’événement sera historique », prévoit Louis Cofflard. « Jamais une astreinte aussi élevée n’a été infligée à l’État pour exécuter une décision prise par le juge administratif », précise-t-il.

Cette amende marquerait l’aboutissement d’un long combat judiciaire. Tout a débuté en 2017 quand le Conseil d’État, saisi par les Amis de la Terre, a ordonné au gouvernement de mettre en œuvre des plans relatifs à la qualité de l’air afin de respecter les normes de concentration en particules fines et en dioxyde d’azote fixées par l’Union européenne dès 2008. Le Conseil d’État remarquait, à l’époque, que les seuils de pollution étaient dépassés dans plus de treize zones en France. Il enjoignait l’État à agir mais ses injonctions étaient restées lettre morte.

En 2020, la plus haute juridiction administrative constatait que le gouvernement n’avait toujours pas pris les mesures demandées dans huit des treize zones. Elle décidait alors de relancer la procédure, quitte à être plus agressive. Elle donnait six mois à l’exécutif pour changer la situation sous peine d’amende et invitait à tirer un premier bilan, six mois plus tard, en juillet 2021.

Elle soulignait déjà « la gravité des conséquences en termes de santé publique » et « l’urgence qui en découle ». Selon différentes estimations, la pollution de l’air entraînerait entre 40 000 et 100 000 morts prématurées par an en France. En moyenne, elle coûterait plus de 900 euros par personne chaque année. Et rien qu’à Paris, son coût s’évaluerait à 3,5 milliards d’euros par an. « La pollution de l’air est un terrible fardeau », a répété à plusieurs reprises le rapporteur public, au cours de l’audience, lundi dernier.

« Cette condamnation doit servir d’électrochoc »

Les écologistes espèrent que ses conclusions pourront faire bouger les lignes. Dans tous les cas, elles frappent le gouvernement comme un camouflet. « Cette condamnation financière doit servir d’électrochoc, pense ainsi l’avocat Louis Cofflard. Elle doit nous donner l’occasion d’engager réellement la transition écologique pour changer les infrastructures et les modalités de transports, afin de rendre nos villes plus sobres, plus douces, et tout simplement plus vivables. »

Les associations environnementales requérantes rappellent qu’en matière de pollution de l’air, le gouvernement n’a pratiquement rien fait. L’exécutif a entériné une réforme minimale de la fiscalité automobile en refusant de pénaliser significativement les véhicules les plus polluants et en écartant les aides pour les ménages les plus précaires. Les niches fiscales accordées au transport routier, mais aussi au transport aérien, continuent de pénaliser le report vers d’autres mobilités moins émettrices.

En parallèle, le projet de loi Climat s’est mué en fiasco. D’ailleurs, ironie du calendrier, sa commission mixte paritaire se réunissait au même moment que l’audience du Conseil d’État ce lundi. Les parlementaires peaufinaient la dernière version du texte de loi, encore amoindrie par son passage au Sénat. Le dispositif des zones à faible émission (ZFE) est notamment sur la sellette.

Créées pour limiter la circulation des voitures les plus anciennes et les plus polluantes, les ZFE étaient présentées par le gouvernement comme le principal outil pour lutter contre la pollution de l’air. À l’origine, le projet de loi de Climat prévoyait leur extension à toutes les agglomérations de plus de 150 000 habitants d’ici à 2025. Mais au cours de son examen au Sénat, la majorité de droite a décidé de retarder le calendrier de cinq ans. « Il est indispensable que les parlementaires reviennent sur ces modifications, estime Valentin Desfontaines, du Réseau Action Climat. Ce serait un préalable. »

Le chargé de mission rappelle que la décision du Conseil d’État n’est pas isolée. La France est aussi poursuivie par la Cour de justice de l’Union européenne qui l’avait condamnée le 24 avril 2019 pour non-respect des normes européennes. L’État avait fait l’objet d’une nouvelle mise en demeure le 2 décembre 2020 en raison de l’insuffisance de son action. Il avait normalement jusqu’au 3 février dernier pour prouver qu’il mettait en œuvre toutes les mesures nécessaires pour respecter au plus vite ces valeurs. Sinon, la France pourrait se voir imposer des sanctions financières d’au moins 240 000 euros par jour de retard, prévenait la Cour de justice.

Cette situation est d’autant plus regrettable que les normes européennes utilisées comme référence datent de 2008 et sont jugées largement moins sévères que celles recommandées par l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Pour les particules fines, « le décalage est très inquiétant », alerte Valentin Desfontaines, les seuils européens pour les particules en suspension PM2,5 sont 2,5 fois plus élevés que ceux prescrits par l’OMS et les seuils européens pour les PM10 sont deux fois plus élevés également. En bref, le gouvernement n’arrive même pas à respecter des normes désormais jugées insuffisantes.

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